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Tout en devisant, Hester et Pearl avaient suffisamment pénétré
sous bois pour être à l’abri des regards de toute personne
qui aurait pu venir à passer par le sentier. Elles s’assirent sur un
somptueux amas de mousse qui, à un moment ou à un autre du
siècle précédent, avait été un pin gigantesque dont les racines et
le tronc restaient dans l’ombre noire tandis qu’il dressait haut sa
cime dans le ciel. Hester et Pearl se trouvèrent là comme au
creux d’une petite vallée dont les bords en pente douce étaient
parsemés de feuilles tombées. Au centre, un ruisseau courait,
nimbé d’une vapeur légère. Les arbres qui se penchaient au dessus
avaient laissé tomber dans ses eaux de grosses branches. Elles engorgeaient le courant, produisant, çà et là, des tourbillons
et des profondeurs noires tandis que sous le passage libre
du flot on voyait briller comme un chemin de cailloux et de sable
brun. Si l’on suivait le ruisseau des yeux, on pouvait apercevoir
ses eaux miroiter à quelque distance, mais on en perdait
bien vite toute trace dans l’enchevêtrement des troncs d’arbres,
des buissons, des rocs couverts de lichens. Tous ces arbres
géants et ces blocs de granit semblaient s’appliquer à rendre
mystérieux le cours de ce petit ruisseau. Peut-être craignaient ils
que, de sa voix infatigable, il allât murmurer sur son passage
les secrets du cœur de la vieille forêt ? ou refléter des révélations
sur le miroir lisse d’une de ses anses ? Sans cesse, en tout cas, le
petit ruisseau poursuivait son murmure gentil, tranquille, apaisant
mais mélancolique comme la voix d’un enfant qui passerait
son enfance sans amusement et ne saurait comment être gai au
milieu d’un entourage morne et d’événements sombres.
– Ô ruisseau ! Sot et fatigant petit ruisseau ! s’écria Pearl
après l’avoir écouté un instant. Pourquoi es-tu si triste ? Prends
un peu courage et ne sois pas tout le temps à soupirer !
Mais, au cours de sa petite vie parmi les arbres de la forêt,
le ruisseau avait traversé tant de graves aventures qu’il ne pouvait
s’empêcher d’en parler et paraissait n’avoir rien d’autre à
dire. Pearl lui ressemblait en ceci que sa vie à elle provenait aussi
d’une source mystérieuse et se déroulait dans un décor aussi
mélancoliquement assombri. Mais à l’inverse du petit ruisseau,
elle bondissait, étincelait et babillait légèrement dans sa course.
– Que dit ce petit ruisseau triste, Mère ? demanda-t-elle.
– Si tu avais un chagrin à toi, le ruisseau t’en parlerait
comme il me parle du mien, lui répondit sa mère. Mais
j’entends un pas sur le chemin et le bruit de branches qu’on
écarte. Va t’amuser et laisse-moi parler avec la personne qui
approche.
(Extrait de La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, traduction de Marie Canavaggia)
4 commentaires:
belle et poétique écriture !
vb
Je ne savais pas que 'La lettre écarlate' était si poétique. Tu as aimé beaucoup?
La musique que tu as choisi s'accorde si bien au texte. C'est très agréable! :)
Quelle coïncidence, Jo !! Justement, la semaine dernière, je me disais que je lirais volontiers ce roman (vu que j'ai déjà adoré le film avec Gary Oldman et Demi Moore)...
@VB et Milly : Oui, c'est un roman très poétique et je l'ai beaucoup aimé. Je manque de temps pour lui consacrer un billet mais je ne peux que le conseiller. D'ailleurs, j'ai bien hâte de découvrir les autres romans de cet auteur.
@Fondant : J'essaierai de voir le film mais je crains d'être déçue. Sais-tu s'il s'agit d'une adaptation fidèle?
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