jeudi 30 juillet 2015

Sourde, muette, aveugle Histoire de ma vie d'Helen Keller


Il n'est pas aisé de commenter l'autobiographie d'Helen Keller mais si je ne devais choisir qu'un seul adjectif, je dirais qu'elle est avant tout généreuse. Point de narcissisme ni d'orgueil dans cet ouvrage.
Helen Keller nous ouvre les portes de son univers et rend hommage aux personnes qui lui sont chères et qui l'ont aidée à s'éveiller telle que son éducatrice Anne Sullivan.

C'est absolument fascinant de découvrir avec quelle ténacité, quel courage, Helen accompagnée de son institutrice, chemine jusqu'à un degré de culture exemplaire. Elle qui, à sept ans, ne savait même pas que les objets avaient un nom...
La pédagogie d'Anne Sullivan est admirable. Avec quelle patience et quel dévouement, elle libère Helen de son isolement !


Bien avant de m'apprendre à faire une addition, miss Sullivan m'avait enseigné à goûter la beauté des bois odorants, à aimer le brin d'herbe, à sentir l'harmonie des lignes dans les courbes et les fossettes de la main de ma petite sœur. Elle s'attachait à faire de la Nature l'objet de mes premières préoccupations, en m'inspirant l'idée d'une étroite parenté entre les oiseaux, les fleurs et ma propre personne. (p.40)

Son amour pour la nature, Helen ne cesse de l'évoquer dans son ouvrage. A son contact, les arbres, le ciel, le Vivant deviennent féerie et enchantement. Elle écrit d'ailleurs qu'elle a beaucoup d'amis parmi les arbres et dans la gent canine.


Plus tard, je revins souvent m'asseoir dans cet arbre de paradis où je passai des heures entières, l'âme pénétrée de poésie, l'esprit plein de beaux rêves. (parlant du mimosa du jardin p.42)

Je suis toujours très touchée par les intellectuels qui ont su conserver leur humilité et leur amour de la Nature. Ils m'apparaissent alors encore plus remarquables !

L'éducation d'Helen Keller est marquée par plusieurs étapes particulièrement frappantes pour nous, lecteurs.
On compte bien sûr la découverte du langage puis celle de la pensée abstraite :

Mon institutrice me plaça la main sous le jet du seau qu'on vidait. Tandis que je goûtais la sensation de cette eau fraîche, miss Sullivan traça dans ma main restée libre le mot eau, d'abord lentement, puis plus vite. Je restais immobile, toute mon attention concentrée sur le mouvement de ses doigts. Soudain il me vint un souvenir imprécis comme de quelque chose depuis longtemps oublié et, d'un seul coup, le mystère du langage me fut révélé. Je savais maintenant, que e-a-u (water) désignait ce quelque chose de frais qui coulait sur ma main. Ce mot avait une vie, il faisait la lumière dans mon esprit  qu'il libérait en l'emplissant de joie et d'espérance. (p.37-38)

J'enfilais des perles en groupes symétriques, - deux grosses perles, trois petites et ainsi de suite. Je me trompais sans cesse et Miss Sullivan, avec une douce et inlassable patience corrigeait mes erreurs. Je m' aperçus tout à coup que j'avais commis une très grosse faute qui rompait l'harmonie du chapelet. Concentrant toute mon attention, je demeurai un instant pensive, cherchant la manière dont j 'aurais dû alterner les perles. Miss Sullivan me toucha le front et épela lentement dans ma main : "pensez." Je compris comme dans un éclair, que ce mot désignait ce qui se passait dans ma tête en ce moment. Pour la première fois, je percevais l'idée abstraite. Longtemps, je demeurai immobile. J'avais cessé de penser aux perles, et, à la lumière de l' idée nouvelle que je venais d'acquérir, je cherchais la signification du mot « amour ». Tout le jour, le soleil s'était masqué de nuages et nous avions eu de courtes ondées. Soudain il se dégagea des brumes et parut dans toute sa splendeur. 
Encore une fois j'interrogeai : 
- L'amour, n'est-ce pas cela ? 
- L'amour, dit-elle, est quelque chose de subtil comme les nuages qui, tout à l'heure, voilaient la face éclatante du soleil. 
Puis, en termes plus simples, car je ne pouvais comprendre ceux-là : 
- Vous ne pouvez toucher les nuages, mais vous sentez la pluie et vous savez quelle est, après un jour de chaleur, son action bienfaisante sur les fleurs et la terre altérées. L'amour, non plus, vous ne sauriez le toucher ; mais vous sentez de quel charme il pénètre les choses. Sans l'amour vous ne connaîtriez pas la joie, vous ne prendriez au jeu aucun plaisir. 
La vérité splendide illumina mon cerveau. Je compris quels invisibles liens me rattachaient aux autres."(p.45)

Helen Keller, toujours soutenue et accompagnée de son incroyable éducatrice, a eu la possibilité d'étudier au collège. Quelle déception pour elle dont l'apprentissage était jusqu'à présent source de réflexion, de rêveries et d'énergie malgré les difficultés.

Mais au collège on n'a pas le temps de communier avec ses propres idées. Il semble que l'on n'y aille que pour entasser des connaissances, non pour y apprendre à penser. Lorsque l'on franchit ce seuil de la science, on doit renoncer aux plaisirs les plus chers : la solitude, les livres, la rêverie. On ne jouira plus du murmure berceur du vent dans les pins. (p.122)

Cependant le collège n'est pas, ainsi que je l'avais cru, un refuge de l'universelle sagesse. On ne s'y rencontre pas face à face avec les grands hommes et les sages. On ne  les y sent pas vivre. Ils sont là comme momifiés. On va les chercher au fond des rayons poudreux pour les analyser, les disséquer en quelque sorte, afin de reconnaître leur authenticité. Les savants, ce me semble, oublient trop souvent que la joie que nous font éprouver les chefs-d'oeuvre littéraires tient plus aux sentiments de sympathie qu'ils nous inspirent au premier contact, qu'à l’érudition avec laquelle ils nous analysent. Il es rare que leurs commentaires laborieux se fixent dans notre mémoire. Notre esprit s'en débarrasse à la manière dont une branche laisse tomber un fruit trop mûr. (p.125)

J'aime tant son esprit libre et romantique !


Grande lectrice, Helen Keller a consacré un chapitre entier à ses livres fondateurs, amis fidèles qui donnent à tous plaisir et sagesse.
Quel bonheur d'apprendre qu'elle a lu et aimé Les quatre filles du docteur March, Heidi et Le petit Lord Fauntleroy !

Ils répandaient à mes pieds leurs trésors ; je les acceptais comme nous acceptons la chaleur du soleil et l'amitié de nos parents. J'aimais "Petites femmes", parce que ce livre me faisait comprendre la parenté qui m'unissait aux petites filles et aux petits garçons qui ont reçu les dons précieux de la vue et de l'ouïe. Pour combien de choses j'ai suppléé par les livres aux sens qui me manquaient. Ils m'ont aidée à franchir le cercle étroit où je semblais condamnée à vivre et m'ont fait participer au mouvement et au bruit du monde extérieur. (p.135)

La philosophie de vie d'Helen Keller, son enthousiasme, sa curiosité insatiable et sa persévérance sont pour moi de merveilleux trésors. J'ai très envie de découvrir ses autres écrits dont Ma libératrice, Anne Sullivan Macy.


Quelquefois, cependant, je l'avoue, une sensation d'isolement, comme un brouillard glacial, m'environne. Je me sens immobilisée au seuil d'une vie dont jamais les portes ne s'ouvriront à moi. Au-delà, tout est lumière, harmonie ; mais une cloison infranchissable m'en sépare. Le destin, silencieux, impitoyable, me barre la route. Volontiers, je demanderais la raison de son impérieux décret, car mon esprit se révolte contre l'inéluctable loi ; mais ma bouche se refuse à prononcer les mots amers ou futiles qui me viennent aux lèvres et qui m'étouffent, comme des larmes rentrées. Autour de mon âme, le silence se fait immense. Puis, soudain, un rayon d'espoir me vient comme un sourire, et une voix chuchote à mon oreille : "Il y a de la joie à s'oublier soi-même." Alors j'essaie de faire mon soleil de la lumière qui réfléchissent les yeux des autres, ma symphonie de la musique qui les berce, mon bonheur du sourire qui s'épanouit sur leurs lèvres. (p.157-158)


(Sourde, muette, aveugle Histoire de ma vie, Helen Keller, Petite bibliothèque Payot)

8 commentaires:

Milly a dit…

Je me sens souvent touchée par tes billets :) Il faut absolument que je lise cette biographie. La seule que j'ai lu était l'édition de Folio junior.
Que de beaux passages et des réflexions enrichissantes il y a dans ce livre! Je vais voir tout de suite s'il en ont à la bibliothèque. Merci pour ce billet! :)

SousLesLilas a dit…

Je pense connaître le livre dont tu parles. Il s'agit sûrement de "l'histoire d'Helen Keller" de Lorena A. Hickok. Je l'aime beaucoup également. C'est d'ailleurs grâce à cette lecture que j'ai fait la connaissance d'Helen Keller lorsque j'étais enfant. J'espère que tu trouveras l'autobiographie à la bibliothèque !
D'avance, bonne lecture ! :)

Kell a dit…

Arthur Penn a tiré de ce récit un admirable film "Miracle en Alabama" avec Ann Bancroft et Patty Duke. Toutes les deux magnifiques. Il faut absolument le voir si tu ne l'as pas encore vu.

Milly a dit…

Milly demande à Kell (Je me permets Jo? :))

C'est exactement le film que j'ai vu étant jeune. Comme j'aimerais le revoir. Est-ce que c'était Patty Duke qui jouait le rôle d'Helen Keller? Je me souviens du début, quand Ann Sullivan arrive dans la famille et qu'elle doit apprivoiser Helen. Ce fut très difficile. C'est un souvenir marquant pour moi de ce film.! Merci Kell pour l'info...:)

FondantGrignote a dit…

Bonjour Jo ! :-)
En effet, cette histoire invite au respect. Tu me donnes envie d'en savoir plus sur cette femme incroyable!

SousLesLilas a dit…

Le film d'Arthur Penn est splendide. J'en garde un souvenir très fort. Certaines scènes sont à couper le souffle et les actrices incroyables !
Merci d'avoir évoqué ce film, Kell !

FondantGrignote a dit…

Bonjour Jo ! Je viens de lire un ouvrage jeunesse racontant la vie d'Helen Keller : quel parcours inspirant !!! :-) J'ai beaucoup pensé à toi, du coup... Merci de m'avoir donné envie d'en savoir plus sur ces 3 femmes admirables !

SousLesLilas a dit…

Oui, j'ai vu ça sur ton blog ! :) Je partage entièrement ton avis et je suis ravie de t'avoir donné envie de la découvrir.
Je te souhaite une bonne semaine, à bientôt !